L’affaire fait le Chou gras de la presse il y a plusieurs jours. Un marché de gré à gré effectué au ministère des postes et télécommunications et de l’économie numérique sur un montant de plus 60 milliards de francs guinéens retient toutes les attentions.
Face à la presse jeudi dernier, le ministre Ousmane Gaoual Diallo a tenté de se justifier, indiquant que la loi lui permet de passer par cette procédure. Des contre-vérités décelés par un expert des marchés publics consulté par avenirguinee.org, qui a préféré garder l’anonymat.
À l’en croire, la procédure liée au marché de gré à gré est encadrée par quatre (4 ) conditions draconiennes.
Tout d’abord, il a confirmé que le gré à gré est une procédure légale.
« Quand on consulte la loi 020 qui fixe les règles de passation, de contrôle et de régulation des marchés publics, il y a une disposition pertinente qui est prévue par le législateur. C’est dans l’article 11 où il est dit que les marchés peuvent être passés par le gré à gré ou entente directe. Seulement, le législateur a posé des conditions draconiennes qui sont au nombre de quatre (4) », insiste l’expert.
« En dehors de ces quatre conditions », poursuit-il, « aucun marché ne peut être passé par le gré à gré si ce n’est le partenariat public-privé. Et, cela aussi est encadré par une autre loi ».
Sur les conditions pour passer à une entente directe ou un marché de gré à gré, il donne des explications en ces termes : « Quand on dit marché passé par entente directe, il faut que le marché ne puisse être exercé que par un seul fournisseur, entrepreneur ou prestataire de service détenant un brevet, une licence ou une exclusivité. C’est la première condition. Si les besoins ne peuvent être satisfaits que par un seul entrepreneur, sous le saut d’un brevet ou d’une licence, oui on peut passer le marché au gré à gré.
Deuxièmement condition, c’est les conditions sécuritaires. De quelle sécurité on parle ? Ce sont des besoins du ministère de La défense nationale, du ministère de la sécurité qui sont incompatibles avec la publicité. Ça veut dire que ce n’est pas tous les marchés du ministère de la défense nationale ou de la sécurité qui doivent être passés par entente directe. Quand la défense achète des bureaux, des véhicules, des tenues, la règle c’est l’appel d’offre ouvert. Mais, quels sont les marchés qui sont incompatibles avec la publicité ? C’est les achats d’armements, de munitions etc…
Troisième condition, il faut que le marché soit en position d’extrême urgence. Les gens parlent de l’urgence, mais de quelle urgence il s’agit ? Il y a deux sortes d’urgence : en commande publique, on dit qu’il y a extrême urgence quand un marché est déjà attribué à un fournisseur, un entrepreneur ou un prestataire qui s’est rendu défaillant, et que l’autorité contractante a constaté que le délai est incompressible, il faut absolument que ce marché soit réalisé. Alors, l’autorité contractante se met à la place de l’entrepreneur pour exécuter le marché, finaliser le marché parce que le délai est incompressible. On appelle cela extrême urgence, ce n’est pas toute urgence.
Quatrième condition: il y a l’urgence impérieuse qui est provoquée par la force majeure. Nous sommes en période hivernale, il y a des grands vents, des grandes tornades, une école est décoiffée, ça s’est indépendamment de la volonté de l’autorité contractante. Alors, le besoin est liée par la force majeure. C’est toutes conditions imprévisibles, indépendantes de la volonté de l’autorité contractante. Si ces (4) conditions ne sont pas réunies, il n’y a pas de marché de gré à gré, pas d’entente directe », soutient cet expert et consultant en passation des marchés publics.
En ce qui concerne le cas spécifique du ministère des postes et télécommunications et de l’économie numérique dont un marché de gré à gré a été effectué pour la rénovation du bâtiment qui sert de local au département, cet expert démontre par A+B le non respect d’aucune des conditions développées ci-haut.
« C’est à travers la presse que j’ai eu connaissance de ce marché. C’est un bâtiment à rénover. Moi, je dirai, en tant que professionnel, qu’un bâtiment à rénover n’a pas besoin de brevet, donc le premier critère est éliminé. Deuxièmement, un bâtiment à rénover n’est pas un besoin du ministère de la défense et de la sécurité incompatible à la publicité. Deuxième critère éliminé. Un bâtiment à rénover, y’ a-t-il une extrême urgence ? C’est-à-dire le marché avait déjà été passé à une entreprise donnée qui s’est déclarée défaillante ? Troisième critère éliminé. Est-ce que le bâtiment, il y a eu une force majeure qui veut s’abattre sur l’ouvrage pour qu’on dise qu’on va faire le gré à gré? Non, dans ces conditions, c’est impossible de passer un tel marché de gré à gré… » persiste ce cadre.
Pour lui, « la procédure de gré à gré est très contraignante parce que ces 4 conditions sont rares. Ce n’est pas tous les jours qu’on va trouver des besoins à satisfaire sous une licence, ce n’est pas tous les jours qu’un État va décider d’acheter des armements ou des munitions, ce n’est pas tous les jours qu’on va trouver un fournisseur ou un entrepreneur défaillant et qu’on va remplacer, ce n’est pas tous les jours que la force majeure se manifeste pour décoiffer une école ou un centre de santé, c’est pour cela je dis que c’est trop contraignant.
Aujourd’hui, les gens disent que le législateur a autorisé jusqu’à 10%, ce n’est pas vrai. Si les 4 conditions là se manifestaient et qu’on veuille passer les marchés conformément aux 4 conditions au gré à gré ou par entendre directe, il ne faut pas passer 10% du montant global des marchés à passer dans l’année. C’est ce que le législateur a dit. S’il faut passer, il faut dans ces conditions demander l’avis de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (AMP) qui va regarder si les 4 conditions sont réunies ou l’une de ces conditions est réunie. Si cela n’y est pas, il revient au régulateur de réfléchir pour voir en raison de l’intérêt national, est-ce qu’il est possible d’autoriser. Cela dépend du jugement du régulateur ».
Plus loin, il enseigne qu’au-delà « des critères que je viens de citer, il y a un autre encadrement qui veut que celui qui bénéficie d’un marché de gré à gré publie tous les prix, publie sa marge qu’il gagne sur le marché (…)».
Sous la junte militaire au pouvoir il y a 2 ans, la surfacturation, le marché gré à gré sans respect des conditions, sont devenus la nouvelle forme d’enrichissement illicite des cadres de l’administration. Ceux-ci, pour échapper à la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) se reposent sur l’autorisation accordée par le ministère de l’économie et des finances. Pourtant, selon les connaisseurs du domaine, chaque marché avant exécution doit passer par les structures chargées du contrôle et de la régulation des marchés publics.
À suivre…
Mohamed Cissé pour avenirguinee.org
623338357