Dans le cadre de la lutte contre la consommation de drogue et les conduites addictives en Guinée, le Dr Thierno Bah, médecin et expert renommé, occupe une place centrale en tant que Directeur Général de l’Institut Itinérant de Formation et de Prévention Intégrées contre la Drogue et Autres Conduites Addictives.
Fort de son parcours académique et de son engagement international, le DG de l’IIFPIDCA a accepté de partager avec nous ses expériences et les défis auxquels son institut fait face. C’était à travers une interview ce vendredi 12 janvier, avec la rédaction d’avenirguinee.org. Les actions menées en 2023, les réformes entreprises, et les perspectives dans la lutte contre la drogue en Guinée, étaient des points clé qu’il a bien voulu développer. Interview…
Avenirguinee : Revenez en quelques mots sur votre parcours
J’ai fait mes études ici en Guinée, je suis de la 42ème promotion de la faculté de médecine, avant de continuer mes études en France où j’ai fait des études de spécialisation. Ensuite, j’ai commencé à faire l’addictologie, tout ce qui est prise en charge des troubles liées à la consommation de drogue. J’ai aussi une capacité en médecine du sport, tout ce qui est prise en charge du traumatisme lié au sport, la gestion de dopage. En plus, j’ai eu une formation sur tout ce qui est couverture sanitaire et universelle… Après, j’ai bénéficié de beaucoup de formations au niveau international à travers l’Office des Nations-Unies pour la lutte contre la Drogue. Étant expert en politique de drogue, je ne dirais pas que je suis le premier Africain à intégrer, mais le premier Guinéen, il faut être modeste, à intégrer le conseil de l’Europe, le Groupe de Coopération en matière de Lutte Contre la Drogue. C’était la porte ouverte de ma carrière dans tout ce qui est contre la drogue (…).
C’est justement au regard de votre brillant parcours que le président de la transition vous a nommé à la tête de l’institut itinérant de formation et de prévention intégrées contre la drogue et autres conduites addictives. Parlez-nous en.
Je remercie le président colonel Mamadi Doumboya pour cette confiance, également de la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation qui a confiance en moi, qui a plaidé pour que le président me mette à la tête de cette institution. Donc, l’institut itinérant de formation et de prévention intégrées contre la drogue et autres conduites addictives fait partie des institutions d’enseignement supérieur en République de Guinée. Nous avons pour mission la conception, l’élaboration et la mise en œuvre de la politique éducative du gouvernement en matière de réduction de la demande de drogue. C’est encore une première institution en Afrique en charge d’enseignement supérieur en matière de réduction de la consommation de la drogue. Je fais cette précision parce que, avec l’Office des Nations-Unies pour la lutte contre la Drogue, il y a deux stratégies mondiales de lutte contre la drogue : il y a non seulement la stratégie répressive qui est confiée aux forces de défense et de sécurité (la police, la douane, la gendarmerie et la justice), mais aussi il y a l’axe 2 de la réduction de drogue. C’est tout ce qui est prévention, formation, recherche et insertion sociale. Heureusement, notre institution qui chapote en République de Guinée ce volet de réduction de la demande de drogue.
Quelles réformes avez-vous entreprises depuis votre nomination ?
Je me suis d’abord inscrit sur le contrat annuel de performance que madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la Recherche Scientifique et de l’innovation, assigné avec le premier ministre Dr Bernard Goumou. Au niveau opérationnel, il fallait faire un diagnostic de cette institution. Étant une institution d’enseignement supérieur, on s’est dit qu’il y a des actes d’intervention prioritaires qu’il faut avoir. D’abord, il faut envoyer tous les cadres de cette institution en formation. Il faut renforcer leurs capacités chacun dans son domaine respectif. Voilà le premier axe. Deuxièmement, avant notre arrivée, cela faisait 10 que les cadres étaient là, personne ne savait pourquoi il est là. J’ai dit « non », il faut aller vous former sur les thématiques de drogue. Ils sont inscrits avec le programme de dispositif du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation. Aujourd’hui ils font leur master, il y en a qui font le doctorat à condition qu’ils prennent des thèmes sur les drogues. Aussi, les contractuels qui sont avec nous, c’est de les mettre dans les dispositions qu’il faut pour qu’ils puissent être opérationnels sur le plan administratif. Mais tout cela, il faut un plan. L’institut a élaboré d’abord les PAO (Plan d’action Opérationnel), nous avons collaboré avec les institutions internationales, notamment l’ONUDC (Office des Nations-Unies contre la Drogue et le Crime) pour qu’on puisse être doté d’un plan stratégique. Nous avons obtenu un financement de 20 mille dollars pour pouvoir élaborer un plan stratégique 2024-2030 pour l’institution. Avec ce plan et le contrat de performance signé avec la ministre Diaka Sidibé, notre institut pourra bien se porter pour les 5 prochaines années.
Quelles sont les activités réalisées en 2023 pour la lutte contre la drogue ?
Aujourd’hui, avec la réforme qui est engagée non seulement la refondation, la rectification institutionnelle, le positionnement des institutions, je pense bien qu’il est important, quand on a un chronogramme, quand on a un plan d’action, on doit l’exécuter à minima à 90%, c’est ce qui fut fait. Cette année, la grande activité que nous avons réalisée en collaboration avec notre partenaire technique qui est l’office des Nations-Unies de lutte contre la drogue, nous avons lancé pour une première fois, une étude sur la consommation de drogue en milieu scolaire. En janvier et février 2023, nous avons formé 70 enquêteurs sur toute l’étendue du territoire national. On a pris des enquêteurs par région pour les former à Conakry avec le soutien d’un expert de l’ONUDC. Après la formation des enquêteurs de 4 à 5 jours, nous avons lancé l’enquête nationale. Nous avons enquêté dans 185 établissements d’enseignement supérieur. Et, nous avons enquêté sur 4235 élèves d’une tranche d’âge de 15-18 ans sur la consommation de drogue. L’objectif de cette enquête était d’évaluer le taux de prévalence de la consommation de drogue chez les jeunes (…) Après, nous avons collaboré avec d’autres ministères. L’objectif de cette collaboration cadre avec le contrat annuel de performance. C’est-à-dire aider d’autres départements sectoriels à atteindre aussi leurs missions dans le cadre du contrat annuel de performance qu’ils ont signé avec le premier ministre. Nous avons travaillé avec le ministère de la santé pour une vaste campagne de sensibilisation contre la consommation des faux médicaments et de la drogue « kuch ». Là, pour l’année 2023, nous avons fait deux axes : Nous sommes intervenus dans plusieurs régions, dans les institutions qui sont dans les régions de Faranah et de N’Zerekoré. Après, nous sommes aussi partis sur l’axe de la Haute Guinée, à savoir l’université de Kankan. On est parti dans les zones minières de Mandiana et de Siguiri. Maintenant, au niveau de la région de Mamou, on a fait l’institut de technologies de Mamou. Des conférences de sensibilisation pour parler des dangers liés à la consommation non seulement de la drogue de kuch, mais aussi la consommation des faux médicaments. (…). C’est dans cette optique que nous sommes partis dans beaucoup d’institutions pour réaliser cela. Voilà ce qu’on a fait. Nous avons participé à plusieurs grandes rencontres au niveau international. L’année dernière, à la journée internationale de lutte contre la drogue au Niger le 26 juin 2023 j’y étais pour parler de la cartographie, de l’assurance qualité dans les structures de prise en charge des troubles liés à la consommation de la drogue où la Guinée a présenté le profil de l’ANP-Guinée. Aussi, nous avons cherché à aller signer des conventions de partenariat en juin et juillet 2023 en Côte d’Ivoire avec l’université de cocody à travers l’UFR de criminologie sur comment collaborer avec eux pour qu’on puisse avoir des formations diplomatiques en criminologie chez nous. Donc, la convention de partenariat n’est pas encore signée mais, je pense que cette année 2024 on va la signer. À l’image des autres institutions d’enseignement supérieur, nous avons participé à la conférence des recteurs et directeurs généraux des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest au Burkina Faso.
Malgré toutes ces réformes que vous entreprenez et des actions que vous réalisez sur le terrain, la consommation de drogue persiste chez les jeunes. Quels sont les défis ?
Vous savez, soyez très rassuré que la drogue est une épidémie cachée. (…) Donc, nous on a pris le devant par rapport à certains pays de la sous-région. Parce que la drogue est un problème social, de santé publique et de sécurité nationale. Social : si on voit les usagers de la drogue et on les laisse comme ça à leur propre sort, ils deviennent un problème pour nous. C’est la raison pour laquelle en Guinée, quand il y a les manifestations, vous avez vu antérieurement des manifestations politiques, les jeunes se réveillent le matin, ils ne savent pas quoi faire, ils sont sous l’emprise des stupéfiants, ils ne savent même pas qui a demandé à aller grever, ils vont là-bas pour se jeter sur les forces de défense et de sécurité, mais aussi sur les biens publics. C’est pourquoi il faut aller avec une stratégie préventive.
Quand a eu lieu l’apparition de la drogue Kusch, l’institut s’est impliqué activement. Nous avons été les premiers à alerter, restant sur le terrain pour sensibiliser les gens dans les débarcadères et les quartiers environnants. Nous avons fourni des statistiques sur le nombre de décès et le protocole de prise en charge de la drogue Kusch. Les obstacles, il y en aura toujours. Ce qu’il faut faire maintenant en Guinée, c’est établir une coordination mixte pour lutter contre la drogue, impliquant les forces de sécurité, les acteurs de la lutte contre la drogue, l’institut et la société civile. Il est nécessaire d’avoir une plateforme pour un échange régulier, car si la chaîne ne fonctionne pas, des difficultés seront rencontrées sur le terrain. Soyez assuré que nous ne ménagerons aucun effort dans cette lutte. Nous continuerons à combattre ce fléau.
Avez-vous les moyens nécessaires pour mener efficacement la lutte contre la drogue ?
Nous disposons des moyens nécessaires. Nous avons du personnel qualifié, y compris des cadres et des enseignants-chercheurs formés sur les thématiques de la drogue. Des sessions de renforcement des capacités sont organisées en interne. Nous bénéficions également de moyens financiers octroyés par l’État pour faire face aux défis. Cependant, il est important de souligner que lutter contre la drogue demande davantage de ressources que l’on pourrait imaginer, étant donné la sophistication et la richesse des narcotrafiquants. Les capitaux liés à la drogue en 2023 représentent plus de 350 millions de dollars, dépassant largement le PIB de certains pays.
Quelles sont vos perspectives pour 2024 ?
Nous clôturons la campagne de sensibilisation contre la drogue et les faux médicaments dans les institutions d’enseignement supérieur à Kindia, Labé, Dubréka et à Boké. De plus, nous prévoyons de publier le rapport national sur la consommation de drogue en milieu scolaire. Le rapport est prêt, en attente de l’approbation de l’Office des Nations Unies de lutte contre la drogue. Nous organiserons ensuite un atelier national, invitant les partenaires techniques et financiers, les acteurs de la lutte contre la drogue, la société civile et les médias, pour discuter et publier les données scientifiques au nom de la Guinée. Ensuite, nous élaborerons le plan stratégique de notre institution pour la période 2024-2026, prévu en février, après les campagnes de sensibilisation de janvier et la présentation du rapport national en février.
Merci Monsieur le Directeur.
C’est à moi de vous remercier.
Ibrahima Sory Camara pour avenirguinee.org