En ce 1er novembre, la Guinée célèbre les 66 ans de son armée nationale, créée en 1958 peu après l’indépendance. Forte de plus de six décennies d’histoire, cette institution a été le symbole de la souveraineté guinéenne et un pilier de l’émancipation nationale et panafricaine. Aujourd’hui, sous le régime militaire de transition, l’armée guinéenne continue de susciter de l’espoir mais aussi de soulever des interrogations sur son rôle et sa mission.
Les Premières Années : Une Armée, un Symbole de Souveraineté
L’armée guinéenne a vu le jour le 1er novembre 1958, quelques semaines après que la Guinée soit devenue le premier pays d’Afrique francophone à refuser le projet de Communauté française, optant pour une indépendance complète. Cette décision historique, prise sous la direction d’Ahmed Sékou Touré, a précipité le retrait de l’administration coloniale française et l’armée guinéenne est alors née pour défendre la souveraineté du nouvel État. Elle fut dès lors le symbole de la volonté guinéenne de résister à toute forme de domination étrangère et de maintenir son indépendance face aux pressions extérieures.
L’Engagement Panafricain : Un Rôle au-delà des Frontières
Dans les années qui suivirent, la Guinée devint une terre d’accueil pour les leaders de mouvements anticoloniaux et l’armée guinéenne joua un rôle actif dans les luttes pour la libération d’autres nations africaines. Elle a soutenu les mouvements de libération en Guinée-Bissau, au Mozambique, en Angola, et dans d’autres pays sous domination coloniale portugaise. Ce soutien militaire et logistique fut une marque de l’engagement panafricain de la Guinée, faisant de l’armée un outil de solidarité continentale et de lutte pour la liberté.
En 1970, l’armée guinéenne démontra sa capacité à défendre le pays en repoussant une invasion menée par des mercenaires dans ce qui fut appelé “l’opération Mar Verde”, orchestrée par le Portugal en réaction au soutien de la Guinée à la lutte pour l’indépendance de la Guinée-Bissau. Cet épisode renforça l’image de l’armée guinéenne comme un bastion de la souveraineté nationale et régionale.
De la Défense Nationale aux Missions de Maintien de la Paix
Depuis les années 1980, l’armée guinéenne a élargi son champ d’action en participant activement aux missions de maintien de la paix en Afrique, jouant ainsi un rôle stabilisateur dans la région. Dès 1960, la Guinée envoya des troupes au Congo pour soutenir la stabilité lors des crises post-indépendance. Plus récemment, elle s’est engagée au sein des forces de paix au Mali, où ses troupes ont contribué à la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme au Sahel. Cette participation aux opérations de maintien de la paix a contribué à rehausser l’image de l’armée guinéenne sur le plan international et à renforcer son expertise en matière de gestion des crises.
L’Armée et le Pouvoir : Entre Espoirs et Controverses
Historiquement, l’armée guinéenne a été impliquée à plusieurs reprises dans la politique nationale, avec des épisodes marquants de prise de pouvoir. Après la mort d’Ahmed Sékou Touré en 1984, l’armée prit le contrôle du pays sous la direction du colonel Lansana Conté, qui régna jusqu’à sa mort en 2008. La transition qui suivit fut marquée par des tensions et des violences politiques, notamment en 2009, lorsque des manifestations furent violemment réprimées sous la junte dirigée par Moussa Dadis Camara.
En septembre 2021, une nouvelle intervention militaire, dirigée par le colonel Mamadi Doumbouya, renversa le président élu Alpha Condé, accusé d’avoir abusé de son pouvoir. Doumbouya et son équipe se sont engagés à restaurer la démocratie, promettant une transition vers un régime civil. Ce retour de l’armée au pouvoir soulève toutefois des questions quant à sa capacité à garantir une transition transparente et apaisée, d’autant que le processus semble lent, suscitant la méfiance d’une partie de la population et de la communauté internationale.
Les Défis Actuels : Une Armée Entre Réformes et Transition
Aujourd’hui, alors que l’armée guinéenne est à nouveau à la tête de l’État, elle fait face à plusieurs défis. La transition militaire actuelle est censée jeter les bases d’un État de droit solide, mais les critiques de l’intérieur comme de l’extérieur se multiplient quant à la lenteur du processus de réformes. Le colonel Doumbouya a lancé plusieurs initiatives pour moderniser l’armée et renforcer son professionnalisme, afin de la préparer pour un retour aux casernes après la transition. Mais les attentes de la population vont au-delà des simples réformes militaires ; elles incluent des avancées dans les droits de l’homme, la lutte contre la corruption, et une reprise économique durable.
D’autre part, le risque d’influences extérieures qui cherchent à influencer le régime en place met l’armée sous pression. La Guinée est riche en ressources naturelles, et certains craignent que cette richesse puisse être un facteur de déstabilisation dans une région où les luttes d’influence se font de plus en plus pressantes.
Vers une Nouvelle Ére : L’Armée au Service de la Démocratie ?
L’armée guinéenne a, au fil de son histoire, incarné tour à tour un symbole d’indépendance, un acteur de paix sur le continent et, parfois, un acteur controversé de la scène politique nationale. À présent, la question cruciale reste de savoir si elle saura relever le défi de restaurer la démocratie et de se retirer du pouvoir au terme de cette transition. La récente célébration du 66e anniversaire de l’armée guinéenne a été l’occasion pour les dirigeants militaires de réaffirmer leur engagement à servir le peuple et à respecter les idéaux démocratiques.
Alors que la Guinée célèbre son armée, elle espère aussi un avenir où celle-ci retrouvera pleinement son rôle de garant de la sécurité et de la souveraineté, tout en laissant la gouvernance aux autorités civiles élues. Les Guinéens attendent avec impatience que la promesse d’une transition pacifique et démocratique se concrétise, faisant de leur armée un modèle de discipline et de patriotisme au service de la nation.
Une recherche de Mohamed Cissé pour avenirguinee.org