» J’ai fait plusieurs fois le tour du monde, mais je n’ai aucune réalisation. Je ne recevais que des remerciements après mes prestations ».
Au quartier Coléah, en banlieue de Conakry, il suffit de dire » Salé wèrè wèrè » pour être conduit par les conducteurs de motos chez Mariama Touré, une grande figure du cinéma local communément appelé Pessè. C’est une mère de famille joyeuse et très comique que nous avons rencontrée à l’imprimerie, zone très peuplée de ce quartier qui a vu grandir plusieurs personnalités du cinéma et de la musique guinéenne.
Née en 1962 à Conakry, mariée et mère de 4 enfants, Mariama Touré a ouvert son cœur au cours d’un entretien avec avenirguinee.org. Entretien…
Parlez-nous du début de votre carrière qui a incontestablement connu des hauts et des bas, mais qui inspire la nouvelle génération de danseurs et d’acteurs du cinéma local.
J’ai commencé l’art depuis le temps de Sékou Touré, j’ai adhéré à la troupe de base à l’âge de 10 ans parce que j’aimais la danse. Mais, ma famille ne voulait pas que je danse. Au temps de Sékou Touré, on te forçait à danser. Si tes parents refusent, on les envoie en prison puis on te bloque tout. En ce moment, on donne des sacs de riz dans les quartiers. Le sac de riz ne se vendait pas dans les marchés. Moi, j’ai grandi avec le petit frère de ma grand mère et sa femme qui est mon homonyme. Mon homonyme était inquiet. Elle a dit »les parents de la fille me l’ont donnée pas pour danser mais, actuellement elle est devenue une danseuse.
J’ai grandi à Dixinn auprès du stade. Dans ce quartier, à l’époque, c’est moi qui dansait. Le chef du quartier aussi veillait sur moi parce que je dansais et j’étais trop canaille. Un jour, ils ont appelé le chef du quartier qu’on appelait à cette époque »maire » pour lui dire qu’ils ne me voyaient pas à la répétition, et que les amis aussi refusent d’aller parce que c’est moi qui les mobilise. Ma famille a été bloquée à la dotation, nous avions fait un mois dans ça. C’est les maniocs et patates qu’on achetait au marché pour venir préparer pour manger. Finalement, mon grand-père a dit de me laisser partir pour éviter les problèmes avec les autorités.
Alors, malgré des petits désaccords avec votre famille, vous réussirez quand même à faire partie de la troupe de danse » le Ballet Djoliba » qui était très célèbre à l’époque.
Oui, je suis restée dans la troupe de danse, c’est là-bas que le Balai Djoliba répétait. Ceux-ci m’ont vu danser. Ce jour, il y avait un festival qui mettait les troupes en compétition pour voir qui sera première. Et, c’est notre balai qui a été le premier. Ils m’ont pris là-bas directement pour le Ballet Djoliba. Avant, tu ne pouvais pas adhérer au Ballet Djoliba sans passer par les sections et les fédérations. Moi, on m’a prise directement pour Djoliba, j’avais 13 ans. Entre 1976 et 1977, il y a eu un voyage, on m’a mis dans l’équipe. C’est comme ça que j’ai assisté au festival de Lagos. Je voyageais un peu partout avec des troupes.
Le Ballet Djoliba a-t-il été le seul groupe de danse dans lequel vous avez joué ?
Non, j’ai dansé pour Bembeya Jazz, les Amazones de Guinée, Nimba Jazz de N’zérékoré. Je sais bien danser la danse forestière.
Quand je me suis tranquillisée à Djoliba, un jour les responsables du Balai africain sont allés au ministère pour me réclamer en disant qu’ils sont en manque de personnel. Le ministère a signé le papier, je suis partie rejoindre le balai africain, jusque-là je suis là-bas. Quand je suis enceinte, je ne pars pas en voyage. Mais, quand j’accouche, même si mon enfant à 3 mois, je le laisse derrière moi et voyager pour l’extérieur.
En signant au sein de la troupe de Djoliba, en tant que jeune danseuse, vous avez eu plusieurs privilèges.
J’ai fait le tour du monde plusieurs fois sans rentrer en Guinée : ( Afrique, Europe, Amérique, Asie ). Rester à l’extérieur du pays c’est un destin. J’aime mon pays, et j’ai mes enfants ici. J’avais peur de ne pas qu’ils soient à la merci des hommes. Au temps de Sékou Touré, Lansana Conté, même au temps de Moussa Dadis Camara, on voyageait. Mais après, on n’a pas voyagé. Ils oublient que c’est dans ces voyages que nous les danseurs de ballet gagnent de l’argent.
Par rapport à la comédie, quels ont été vos premiers pas dans cet autre monde professionnel ?
J’aime faire de la comédie, je fais rire les gens comme ça naturellement, c’est devenu mon habitude. Il y avait un de mes amis qui avait un petit sketch diffusé sur canal, en ce moment je venais de quitter l’Amérique, je lui ai demandé s’il y a une troupe, elle a dit « non ». Kaba m’a dit qu’il a fait ça juste pour faire rire les gens. Je lui ai dit » nous pouvons faire de ça une grande troupe dans notre quartier ». Il m’a dit que si nous pouvons, je lui ai dit oui tout en le rassurant. J’ai cherché beaucoup de personnes qui répétaient restées chez moi. Nous sommes restés dans cette répétition jusqu’à ce que j’ai rencontré Kabakoudou et Grand Devise nouvellement venus de Kindia. Heureusement, ils n’avaient pas de troupe en ce moment. On voulait tourner un film, mes amis m’ont dit d’aller voir Kabakoudou et Grand Devise. Je me suis dit « oui, ils peuvent être de bons comédiens ». Je leur ai expliqué tout afin qu’ils soient à la tête de la troupe parce que moi je suis une danseuse au ballet africain, ils ont accepté. Nous avons tourné »Tenin Dankè », le film dans lequel on m’appelle Salé wèrè wèrè ». Quand nous nous sommes lancés, notre troupe a cartonné. À mon retour de l’Amérique, mon nom était partout. C’est comme ça que je me suis attachée à la comédie.
Quel est votre niveau de vie aujourd’hui après tant d’années dans la danse et dans le cinéma local ?
Après des hauts et des bas dans la comédie, j’ai eu le nom. Mais, le reste il n’y a rien. On ne gagne pas beaucoup. Le peu que nous gagnons, nous avons des enfants à nourrir. C’est pour cela que nous avons dit aux distributeurs de canal d’arrêter de diffuser nos films pour que nous puissions revendre nos œuvres pour gagner de l’argent.
Nous souffrons, le tournage d’un film ne finit pas en une seule journée. C’est soit deux à trois jours. Je dois me repérer pour le Balai aussi, dès fois je rentre à la maison la nuit tardivement mon mari me demande toi tu ne peux pas t’asseoir je réponds que les film je tourne c’est pour cela je viens tardivement. Mon mari n’a pas de problème mais dès qu’il m’interdit de sortir, je l’ai plaidé pour partir. J’ai marché mais il n’y a rien sauf le nom. Je n’ai fait aucune réalisation, je ne recevais que des remerciements après mes prestations.
Quel regard avez-vous de la nouvelle génération d’acteurs de cinéma ?
À notre époque, la manière dont on faisait nos films était différente de celle de la nouvelle génération. Nous on éduquait sur la façon dont la femme doit prendre soin de son mari à la maison, façon dont la bonne femme doit pardonner pour que ces enfants soient bénis et les hommes qui se foutent des femmes. Actuellement, beaucoup de troupes copient les Nigérians et les Ghanéens. Normalement, nous devons tourner des films qui éduquent les enfants pour ne pas qu’ils soient des délinquants qui les mettent sur le droit chemin. À tous les artistes comédiens, en tournant nos films, mettons en valeur nos traditions, nos coutumes et c’est ça qui enseigne nos enfants. Valorisons nos traditions. C’est l’appel que je peux lancer à cette nouvelle génération.
Réalisé par Bintou Camara pour avenirguinee.org